JEHAN VALIQUET OU L’ART DE LA RENCONTRE
Article par Sarah Lévesque | 12 mai 2017-Paroles et Musique de la SOCAN
Le 10 août 2017 signalera pour Jehan V. Valiquet les 35 ans de la maison d’édition Groupe Éditorial Musinfo. « Je me souviens de cette journée-là. J’étais chez l’avocate en train de signer des papiers et fonder mon entreprise. J’avais déjà approché quelques artistes. J’étais content et excité… »
Il faut voir les yeux de Jehan Valiquet qui en parle comme on souligne la date d’un mariage. Et mariage, il y a. La musique est ici une histoire de passion. La maison de Valiquet, qui lui sert à la fois de bureau, en est imprégnée dans ces moindres recoins. Il y a des disques partout, des coffrets de Véronique Samson, des Velvet Underground, et des Rolling Stones, des vinyles, dont ceux de Hamonium et de M, affichés fièrement, une table tournante, de multiples preuves que la musique est ici chérie et vivante.
Dès ses débuts, Jehan V. Valiquet perçoit la francophonie, tout particulièrement la France et la Belgique, comme un terrain de jeu. Il fait de sa spécialité la sous-édition, la représentation de catalogues de chansons françaises ou belges pour le territoire canadien. Tout au long de son parcours d’éditeur, des liens de confiance se tissent de l’autre côté de l’Atlantique. De ses rencontres marquantes, il y a évidemment celle initiale et fondatrice avec l’éditrice de Nicolas Peyrac qui le lance dans le milieu.
Mais il y en a d’autres. Valiquet croise pendant dix ans Gérard Davoust, éditeur de l’œuvre de Charles Aznavour, à qui il exprime son désir de représentation au Canada, et ce, malgré les refus successifs. « Nous avions l’habitude de nous voir, malgré dix ans de « non ». Davoust était un mentor pour moi. On se vouvoyait malgré qu’on mangeait au restaurant ensemble une ou deux fois par année. Puis, lors de l’une de ces rencontres, il m’a demandé d’arrêter le vouvoiement. J’en ai été incapable. En sortant du restaurant, il me lance tout bonnement. Aaah oui… En passant, je te donne Aznavour. J’ai crié un gros « oui » en pleine rue. J’étais tellement content. »
Le mot se passe que Valiquet travaille bien puisque les bonnes rencontres se multiplieront tout au long de sa carrière. Dans les années 2000, il obtient en sous-édition d’autres catalogues européens dont celui de Carla Bruni, de Mathieu Chedid et de Vanessa Paradis.
« Ne s’invente pas éditeur qui veut. Ça prend du temps, de la négociation, de la gestion, des connaissances. »
Chérir et nourrir ces rencontres constituent l’ADN de Musinfo et de Jehan V. Valiquet qui voyage en Europe plusieurs fois par année. « Aujourd’hui, ces éditeurs sont devenus des amis. On se donne des comptes, mais surtout, on apprécie se voir… » C’est la même chose au Québec où il signe des ententes avec des groupes tels les Montain Daisies et réalise la gestion de certains catalogues dont celui de Michel Rivard et de Beau Dommage, toujours détenteurs de leurs droits depuis 1974.
Avec la baisse des ventes d’albums, les artistes semblent de plus en plus tenter l’aventure de l’édition par eux-mêmes, comme c’est le cas de M, Grand Corps Malade, Robert Charlebois et Claude Dubois. « Il y en a toujours eu, des artistes qui gardaient les droits de leurs chansons. Mais il y en a encore plus aujourd’hui. Yann Perreau, qui a été 10 ans avec moi, a décidé à la fin de notre entente de partir sa propre compagnie. C’est possible. Il y a des formations qui sont données par L’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM), au Festival de la chanson de Granby, qui vont dans ce sens-là. C’est bien. Les artistes doivent porter plusieurs chapeaux. Cependant, il faut faire attention. Ne s’invente pas éditeur qui veut. Ça prend du temps, de la négociation, de la gestion, des connaissances. C’est un vrai métier.
« Avoir un administrateur de son répertoire, c’est souvent une très bonne solution. Car l’édition peut devenir du temps que l’on prend à la création. »
Valiquet aime aussi générer des rencontres entre créateurs, tout particulièrement entre parolier et compositeur. L’éditeur croit beaucoup à la force de ces tandems d’écriture comme ce fut le cas de Michel Bergé et Luc Plamondon. Pour Valiquet, initier ces rencontres, parfois même entre la France et Québec, permet à l’éditeur de se garder actif et impliqué auprès des créateurs qu’ils représentent. Au sein de Musinfo, il a connecté la parolière française Sandrine Roy au compositeur québécois Sylvain Michel. « Ce duo-là compte plus de 30 chansons qui ont été sur des palmarès radiophoniques. Tout a commencé pour eux avec la chanson Que le temps de Garou. Aujourd’hui, Sandrine Roy, qui habite toujours en France, est membre de la SOCAN. Ces situations-là existent aussi. »
Il y a une très belle franchise chez Jehan V. Valiquet quant à l’avenir du Groupe Éditorial Musinfo. L’homme est toujours actif et désire manifestement l’être le plus longtemps possible.
« Je ne pense jamais à la retraite… Peut-être que je devrais, mais ça ne me tente pas. »
Reste que l’homme a conscience que le temps avance et que les engagements à long terme sont de plus en plus incertains.
« Musinfo est basé sur mes relations personnelles, ici ou à l’étranger, avec des éditeurs et aussi des artistes qui ont confiance en moi. Ce que je sais, c’est que je ne suis pas éternel. Je ne signe pas des contrats qui ont la durée du droit d’auteur, 50 ans. Je ne le fais plus. Cela ne donne pas de valeur à ma compagnie, mais je n’ai pas l’intention de la vendre. C’est une question d’honnêteté pour les gens avec qui je travaille. Et les artistes apprécient beaucoup cette durée limitée. Ils savent qu’ils ne sont pas prisonniers de quelque chose. »
En plus d’une solide expérience et d’un amour de la musique avec un A majuscule, il y a aussi cette franchise dans les rapports humains qui font de Jehan V. Valiquet, un éditeur de premier plan.